Les CLERC, une dynastie de chaisiers bressans

Nous sommes le samedi 29 juillet 1989. A Rancy, en Bresse, sur le coup de midi, Jean CLERC, instituteur en retraite, prend la parole :

” C’est bien volontiers que je réponds à la demande de mon cousin René. Nos familles ont, en effet, des liens très étroits : des liens professionnels, mais surtout affectifs, renforcés bien souvent par des malheurs partagés…”

Comme moi, dans l’assistance, vous vous demandez bien de quoi il va parler. L’événement ne semble pourtant pas triste, ça rigole, les enfants courent parmi les adultes, les anciens se tombent dans les bras…

“J’ai observé, voici plus de soixante ans, la fabrication des chaises sans machine-outil, et j’en garde des images précises. Je me souviens aussi de ce que mon père me racontait sur des faits plus anciens…’

Nous y voilà : nous sommes chez les chaisiers. Dans le coin, tout le monde les connait, ces Clerc-Lesne, Clerc-Ligerot, Clerc-Volatier… Ils sont si nombreux qu’ils accolent le nom de leurs épouses aux leurs pour que le facteur puisse s’y retrouver.

“Mais permettez-moi d’abord de situer l’année 1889, date de la fondation de la maison Clerc-Ligerot, dans l’histoire : …”

Eh oui, nous sommes réunis, dans ce coin de Bresse, pour le centenaire d’une des chaiseries de Rancy-Bantanges. Laissons de côté le cousin et son discours (que nous retrouverons en intégralité et de sa main plus bas) pour nous intéresser à la genèse de cet empire du siège paillé.

Invitation au centenaire

En 1889, Pierre Clerc est marié avec Anne Lesne depuis 6 ans (le 26 janvier 1883 exactement), il a déjà 4 enfants (5 autres suivront), et il crée “sa boutique”. Comment en-est’il arrivé là ? Il est fils de Joseph et de Jeanne Gudefin, cultivateurs qui ont eu 15 enfants dont 6 atteindront l’âge adulte. Il n’y pas assez de travail pour tous sur l’exploitation paternelle. Pierre est né le 20 février 1862, 14e de la fratrie.

La fratrie Clerc-Gudefin.

C’est la pleine période du développement des fabriques de chaises à Rancy et à Bantanges, le village voisin. Comme ses frères Frédéric, Jean-Baptiste et Jean-Marie, il se lance dans la chaise, et leurs fils et petit-fils feront de même, créant une dizaine de fabriques.

« T’arais pas six fausses-anglaises à me prêter, mon cousin ? J’ai on client qu’est biais pressou. » Ils s’empruntaient en effet chaises, paille de couleur, laîche, vernis, colle, barreaux quand leurs fournisseurs tardaient. »

Quelques modèles les plus courants de chez Clerc-Ligerot.

Après la Libération, Lucien, neveu de Pierre Clerc, crée la première usine vraiment moderne, qui devenue la société Boiclerc, se diversifia dans toutes sortes de chaises, tabourets, fauteuils et tables, avant de fermer très récemment faute de pouvoir faire face à la concurrence de grandes chaines de meubles en kit.

La société Clerc-Ligerot, dont le centenaire était fêté en 1989, a connu une première crise en 1944 quand son patron tomba malade et resta invalide à la suite du décès de son épouse, chaisière comme lui. Celle-ci aussi fit malheureusement faillite il y a quelques années, victime de la concurrence.

Dans cette dynastie de chaisiers, il y avait une douzaine de société dans la famille au pic de la production dans les années 1950 (et une cinquantaine entre Rancy et Bantanges).

En-têtes des lettres et factures des chaiseries Clerc

Il n’en reste aujourd’hui qu’une liée à la famille, mais plus aucune aux mains des Clerc.

Ce petit article, forcément incomplet, n’aurait jamais vu le jour sans l’aide immense de Dominique Clerc-Pirat, épouse de Patrick, petit-fils du fondateur de Clerc-Ligerot, qui est allée fouiller dans ses vieux papiers (dont le discours du cousin Jean l’Instituteur), tout comme elle a fait le tour des descendants Clerc de Bresse pour raviver leurs souvenirs. Qu’ils en soient tous immensément remerciés, eux qui doivent se demander pourquoi ce regain d’intérêt pour leurs chaises paillées en plein confinement.

En train de monter une chaise.
Fifine Gudefin en train de pailler l’une de ses dernières chaises à plus de 92 ans.

Pour aller plus loin :

Un article des Echos de 1999 : https://www.lesechos.fr/1999/08/les-chaisiers-de-rancy-bantanges-1049053

L’éco-musée de la Bresse Bourguignonne, qui devait ouvrir au Moulin de Montjay à moins de 2 km de Rancy une antenne dédiée entre autres aux chaisiers et aux pailleuses, ouverture retardée pour cause de confinement : http://www.ecomusee-bresse71.fr/accueil/

Seule entreprise d’un descendant du couple Clerc-Gudefin encore en activité : Collections Paget de Charles Paget, Entreprise du Patrimoine Vivant : https://www.collections-paget.fr/

L’intégralité du discours du centenaire :

Author: Cyrille

9 thoughts on “Les CLERC, une dynastie de chaisiers bressans

  1. Bravo pour ce premier article passionnant et pour les recherches en documentation effectuées. Je vois que les modèles de chaises sur les publicités était souvent les mêmes c’est assez drôle, est-ce le souhait de la famille ? Peut être que l’imprimeur n’avait que ce modèle sous la main. Je trouve ça triste que les entreprises aient toutes disparues, surtout après autant d’années d’existence. Hâte de lire les prochains billets en tout cas !

    1. A priori, ils fabriquaient tous plus ou moins les mêmes modèles, ce qui leur permettait de se dépanner les uns les autres en cas de grosse commande ou de client pressé comme cité dans le discours du centenaire. J’ai trouvé comme ça plusieurs prospectus très similaires, seul l’en-tête avec le nom de la fabrique changeait !!!

  2. Bravo pour ce premier article ! Très clair, intéressant, bien illustré. Que demander de plus ?
    J’ai aussi découvert ce métier de chaisier que je ne connaissais finalement que très bien. C’est très instructif en tout cas !
    Bienvenue parmi les généablogueurs !

  3. Superbe article ! Bravo à Cyrille et à ma mère pour ses recherches…
    Très bien écrit et lu avec beaucoup d’émotion… C’est une bonne partie de mon enfance et bcp de souvenirs… Certains Bon et d’autres plus douloureux ! Mais c’est l’origine de mon histoire et de mes valeurs… Je suis très touchée par ton article Cyrille. Merci

  4. Il est très réussi ce généathème ! Voici un premier article qui inaugure un blog à suivre, sans aucun doute.
    Bienvenue parmi les généablogueurs

  5. J’aurai aimé citer quelques lignes de cet exemple dans un livre à paraître en octobre. Serait-ce possible ? Pouvez-vous me contacter sur mon adresse mail ?

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