En plus de ma généalogie « habituelle », j’essaye de retracer les différentes branches de MAILLET présentes en Saône-et-Loire. C’est ainsi que j’ai découvert Claudine MAILLET, née le 23 décembre 1853 à Vauban, petit village agricole à l’ouest de la Saône-et-Loire. Fille de Claude Marie et Claudine CHOPELIN, deux cultivateurs, Claudine semblait appartenir à une famille ordinaire, ancrée dans la terre et les traditions de cette région depuis plusieurs générations.
Quelle ne fut pas ma surprise, en cherchant son acte de décès, de trouver sur le registre des décès de Vauban, à la date du 23 août 1890, une transcription de son décès survenu le 9 janvier 1890 à… Nagasaki, Japon ! Le fait qu’une fille de paysans d’un petit village français soit décédée au Japon était un mystère. Mais en poursuivant mes recherches, j’ai appris qu’elle appartenait à la Congrégation du Saint-Enfant Jésus de Chauffailles, et qu’elle y portait le nom religieux de Sœur Thérèse de Saint-Augustin. Cette découverte, faite en février 2020 alors que je revenais justement d’un voyage au Japon, où j’avais visité Nagasaki et quelques églises catholiques anciennes, a éveillé ma curiosité. Ce parallèle troublant m’a poussé à en savoir plus sur son parcours et à entreprendre une enquête approfondie sur sa vie et son destin exceptionnel.
Claudine Maillet, devenue Sœur Thérèse de Saint-Augustin, grandit dans une famille simple, dernière de neuf enfants, loin des horizons exotiques qu’elle découvrira plus tard. Rien, dans son enfance à Vauban, ne laissait présager qu’elle quitterait un jour sa région pour une mission religieuse à l’autre bout du monde. Dès l’âge de 18 ans, elle entre en noviciat au couvent de Chauffailles, marquant son engagement dans la foi chrétienne. Après quelques années de formation, elle fait sa profession de foi en 1875, un premier pas vers sa grande aventure spirituelle.
C’est en 1880 que sa vie prend un tournant radical. Le 8 février, Claudine embarque à bord du paquebot L’Amazone, direction le Japon. Ce voyage, extraordinaire pour une fille de la campagne française, témoigne d’une époque où les missions religieuses étaient des moyens pour l’Église de répandre la foi chrétienne à travers le monde, avec tout le discours colonisateur et missionnaire que cela implique. On s’en rend vite compte dans ses lettres, dont le contenu peut paraître anachronique. Elles reflètent une mentalité de l’époque où les missionnaires se percevaient comme les porteurs de lumière et de civilisation dans des terres jugées « ignorantes » ou « perdues ». Claudine exprime dans ses écrits son désir de « convertir les âmes » et d’éduquer les enfants japonais dans la foi chrétienne, une démarche perçue à l’époque comme un devoir divin.
Son périple en mer est pour elle une véritable découverte, et les réflexions qu’elle partage dans ses lettres nous montrent combien ce voyage lui parut extraordinaire. Lorsqu’elle traverse le canal de Suez, elle observe avec fascination et parfois étonnement les peuples et paysages qu’elle ne connaît pas. Elle décrit notamment les habitants de Port Saïd comme étant « habillés d’une manière si curieuse et malpropre qu’on dirait plutôt un paquet de linge sale que des personnes« . Derrière ces mots, qui révèlent l’ignorance et le filtre colonial de l’époque, se cache un émerveillement naïf face à la diversité culturelle du monde. Ce voyage représente pour Claudine une immersion dans un univers inconnu, loin de sa Saône-et-Loire natale.
Ses réflexions sur la différence religieuse traduisent aussi une certaine mission civilisatrice de son époque. Dans une lettre, elle écrit : « Pourquoi Dieu nous a-t-Il fait naître dans un pays chrétien, alors que tant d’autres sont plongés dans la plus profonde ignorance ? ». Cette vision, typique des missionnaires européens du XIXe siècle, montre combien elle perçoit sa mission au Japon comme une bénédiction et un devoir, un moyen de « sauver » des âmes et d’apporter la foi aux non-chrétiens, qu’elle voit comme perdus dans l’ignorance.
Le 5 avril 1880, après un long voyage, Claudine arrive enfin à Kobé. Là, elle entame un autre défi, tout aussi immense pour elle : apprendre la langue japonaise. Sous la tutelle de Mère Sainte-Élie de Borgia, elle s’investit corps et âme dans l’apprentissage du japonais, qu’elle trouve difficile mais crucial pour accomplir sa mission auprès des enfants. Dans ses lettres, elle parle de l’affection qu’elle développe pour ces jeunes dont elle s’occupe. Sœur Thérèse est émerveillée par la culture japonaise, malgré les différences qu’elle perçoit, et s’attache à ces enfants avec lesquels elle partage son quotidien.
Le contraste est saisissant entre sa vie simple et rurale en France et cette mission lointaine. L’apprentissage du japonais, les différences culturelles, et surtout la distance avec sa communauté, sont autant de défis qu’elle surmonte avec courage. Mais au fil des années, sa santé commence à décliner., au point qu’en 1887, elle est transférée à Nagasaki, où elle espère trouver des conditions plus favorables pour sa guérison, mais malgré les soins, son état ne cesse de se détériorer.
Même affaiblie, elle reste dévouée à sa mission et à sa foi. En novembre 1884, elle prononce enfin ses vœux perpétuels, réalisant ainsi son souhait de se consacrer entièrement à Dieu. Sa santé ne s’améliore pas, et le 9 janvier 1890, Claudine Maillet s’éteint à Nagasaki, à l’âge de 36 ans, laissant derrière elle une vie dédiée à la foi et à l’éducation des enfants japonais. Elle fut alors inhumée au cimetière international d’Oura, avant qu’en 1960 ses restes soient déplacés au cimetière d’Urakami de la Congrégation, où elle repose toujours.
Ainsi, cette enquête m’a permis de découvrir non seulement l’histoire d’une humble fille de paysans devenue missionnaire au Japon, mais aussi une femme courageuse, confrontée à l’extraordinaire, qui a traversé des mers et des cultures pour servir sa foi, tout en vivant une aventure hors du commun pour quelqu’un de son milieu. Claudine Maillet, Sœur Thérèse de Saint-Augustin, a incarné une époque de grands bouleversements et de voyages spirituels lointains, mais aussi une certaine vision du monde et des autres, héritée du colonialisme religieux du XIXe siècle.
Je tiens à exprimer toute ma gratitude à Sœur Graziella, Sœur Tarukado à Chauffailles, et Sœur AIKAWA Nobuko, archiviste de la congrégation au Japon, avec qui j’ai eu l’honneur d’échanger par mail, courrier et téléphone. Grâce à leur généreuse aide et à l’ouverture des archives de la Congrégation, j’ai pu reconstituer une partie de cette histoire fascinante. Je leur en suis profondément reconnaissant.
Sources : Archives privées de la Congrégation du Saint-Enfant Jésus de Chauffailles (copies des lettres de Sœur Thérèse, photos d’époque et du carré religieux du cimetière d’Urakami) ; Retronews (extrait de « Sémaphore de Marseille » du 4 février 1880) ; L’encyclopédie des Messageries Maritimes (la ligne d’extrême-orient, carte postale d’époque du port de Kobe)
Les transcriptions des 6 lettres de Sœur Thérèse à destination de la maison mère de la congrégation sont disponibles sur sa fiche Geneanet.
Bonjour
Cette histoire est vraiment intéressante et ton travail de recherche extraordinaire . Bravo
Beau travail cousin pour cette belle histoire d’une lointaine parente. Bravo à toi.
Merci pour cet article.
J’avais moi aussi une lointaine cousine dans le même cas. Un ouvrage a été écrit sur son histoire, par un tiers cousin : https://www.editionsducerf.fr/librairie/livre/6699/de-la-gaule-au-japon-par-les-chemins-de-dieu
ça vous intéressera peut-être parecque leurs histoires sont parrallèles (même si ma cousine a eu la chance de vivre plus longtemps que votre pauvre Claudine), elle est morte pendant la seconde guerre mondiale, à Nagasaki, quelques mois avant l’explosion de la bombe atomique.
Cécile, Merci pour votre message. Je vais essayer de trouver cet ouvrage en bibliothèque.