« L’an mil neuf cent quarante-quatre, entre le 2 et le 5 juillet est décédé lors du transfert de Compiègne (Oise) à Dachau (Allemagne), ROY Paul Eugène » …
Ces quelques mots, qui débutent l’acte de décès de Paul Eugène ROY, symbolisent bien le drame de sa disparition. Surtout lorsque l’on apprend qu’ils ont été rédigés le 17 mars 2022, soit 76 ans, 8 mois et 15 jours après cette disparition.
Qui était-il ? Né le 15 juin 1925 à Châteaurenaud, en Bresse Louhannaise, il est le deuxième enfant de Léon, alors maçon âgé de 27 ans, et de Marie DUTEIL, lingère de 29 ans. Après lui viendront encore 2 garçons, puis une fille, la petite dernière, Paulette, ma grand-mère.
Avec le temps, les affaires du père de famille se développent doucement, et lors de la déclaration de guerre, en 1939, de maçon il est devenu entrepreneur en maçonnerie. L’ainé de ses frères, Jean Joseph, sera d’abord envoyé dans les chantiers de jeunesse en Haute-Savoie, à Rumilly, puis requis pour le S.T.O., il sera envoyé travailler à Hambourg, dans le Nord de l’Allemagne, jusqu’à la fin de la guerre. Paul Eugène et ses frères, plus jeunes, échappent à ces réquisitions qui concernent les hommes nés entre 1920 et 1922.
Comme les temps sont surement durs avec l’ainé parti, Paul Eugène travaille pour son père, qui le rémunère chichement. Alors, pour payer ses sorties dans les bals du samedi soir, il semblerait que Paul Eugène fasse un peu de marché noir, pas à grande échelle, juste pour améliorer l’ordinaire. Malheureusement, ce qui devait arriver, arriva. Contrôle de routine, dénonciation ? Quoiqu’il en soit, début 1944, il est arrêté par la gendarmerie française. Il est dans un premier temps conduit à la prison Montluc à Lyon. Cet établissement était alors dirigé par Klaus BARBIE, le trop célèbre officier SS resté dans l’histoire sous le surnom du « boucher de Lyon ». Cette prison verra passer plus de 9000 personnes, dont l’historien Marc BLOCH, résistant exécuté dans l’Ain, et Jean MOULIN, l’inoubliable préfet-résistant lui aussi mort dans un convoi à destination de l’Allemagne.
Ma grand-mère se souvenait d’une visite à Lyon au printemps 1944, accompagnant sa mère qui tentait de voir Paul Eugène. Vu l’endroit, je doute qu’elle y soit arrivée. Peut-être avait-elle pu lui faire passer un colis ? Ce passage à Lyon n’est pas documenté, une partie des archives de la prison ayant disparu.
On retrouve néanmoins Paul Eugène lors de son arrivée à Royallieu, à Compiègne dans l’Oise. C’est le seul camp en France administré par les nazis. C’est une zone de transit, les prisonniers n’ont pas vocation à y séjourner plus que le temps nécessaire à l’organisation du convoi qui les emmènera dans un camp de concentration plus à l’Est. Le départ de Paul Eugène a eu lieu le 2 juillet 1944, à 9h15, par le train n°7909 à destination de Dachau. Son nom, écrit sur la liste dressée à cette occasion est la dernière trace de Paul Eugène vivant.

(cote du document : 27P113, archives de Caen)
Il décède durant le transport.
Selon le témoignage d’un rescapé, venu après-guerre rencontrer ses parents, l’état physique de Paul Eugène aurait été déplorable lors de son embarquement à bord du train, probablement suite à des tabassages en prison et/ou au camp. Il n’aurait pas même survécu au premier jour du transfert.
Manque d’information, volonté de tourner la page ? Quoi qu’il en soit ses parents n’avaient jamais fait enregistrer son décès. Et c’est en 2020, avec le temps libre lié au premier confinement imposé lors de l’épidémie mondiale de COVID-19, que je me suis lancé dans cette mission. Il a fallu interroger les archives de la prison Montluc, la Division archives des victimes des conflits contemporains du Ministère de la Défense à Caen, les « Archives Arolsen » et surtout les archives du camp de Royallieu à Compiègne. Après deux ans de recherches, c’est enfin chose faite, et une injustice de réparée !
Une bonne partie de cet article est basée sur des souvenirs de famille, assez peu de documents ayant pu être retrouvés. Les rares traces de ce terrible parcours, laissées par Paul Eugène, sont son immatriculation lors de son arrivée au camp de Royallieu, son nom inscrit sur la liste de départ du 2 juillet 1944, ainsi que sur celle des participants à ce convoi établie par la Fondation pour la mémoire de la déportation. Paul Eugène est aussi mentionné dans les annexes ayant servies à la rédaction du livre « Le train de la mort », par Christian BERNADAC en novembre 1970, même si la rigueur scientifique de cet ouvrage est remise en question de nos jours.
J’ai été aidé dans mes recherches par les historiens du mémorial de la prison Montluc à Lyon, ceux du mémorial du camp de Royallieu, ainsi que par les infatigables bénévoles de l’association du Fil d’Ariane. Un grand merci à eux ! Catherine LIVET, de BECKLIVET m’a aussi bien encouragé par sa relecture de cet article, allez voir son site pour connaître ses actions pour l’écriture de l’histoire familiale.
Pour mamie Paulette, qui, avant que l’âge ne brouille à jamais sa mémoire, n’a jamais cessé d’évoquer son grand frère adoré.
Arrêté du 12 avril 2022 portant apposition de la mention « Mort en déportation » sur les actes et jugements déclaratifs de décès : cliquer ici !
Félicitation pour ton travail acharné mais payant pour la mémoire de ton grand oncle.
C’est vraiment un bel aboutissement de pouvoir réparer cet oubli ! Bravo pour le courage et la persévérance, c’est un bel hommage qui lui est rendu là.
Bravo Cyrille pour ce beau travail de recherches et de vérité.
Sa mémoire est à présent reconnue grâce à ce grand travail de recherche et d’entraide. Bravo à tous.
Magnifique travail de mémoire ! Un grand bravo.
L’oubli est terrible. Il signe la disparition inéluctable des êtres et des faits. Le travail de mémoire et de recherches, ici accompli, rend hommage à Paul Eugène Roy. Il est donc à nouveau vivant, le temps de cette lecture et, pour toujours, dans l’esprit de sa famille. Son histoire est bouleversante à l’échelle de l’humain qu’il était. Une vie brisée par l’horreur de la guerre et de la folie des hommes qui l’accomplissent.
Je retiens cependant ses sorties au bal du samedi soir. Cela prouve que, de tout temps et en toutes circonstances, les joies et plaisirs de la vie réunissent les humains… car la vie et l’espoir perdurent toujours dans ces circonstances.
Bravo pour ce remarquable travail Cyrille. Et merci pour ce partage.
Bouleversée par ce témoignage et par le travail de mémoire accompli. Félicitations à Cyrille et à tous ceux qui l’ont soutenu. Merci au Fil d’Ariane d’avoir partagé avec nous ce doc exceptionnel.
Merci Odile de m’avoir lu.